L’ULM, j’en parle depuis longtemps lors des salons, au travers des récits de pilote, voire en évoquant des sujets de réglementation. Depuis le temps, je n’ai pas d’a priori sur la discipline. J’ai bien compris que l’ère des tondeuses à gazon volantes est révolue et que les pilotes Ulm sont de vrais pilotes dont une bonne partie voyagent. Les machines deviennent modernes, elles sont pour la plupart équipées de radio et de transpondeur. Même si la vision de l’ULM auprès du grand public est encore trop largement surannée. Et puis, un jour, j’ai eu envie d’aller plus loin, de passer aux commandes et de vivre tout cela de l’intérieur. J’ai donc choisi une école pas trop loin de chez moi, ni du bureau. Véliplane est implantée sur le terrain contrôlé de Meaux, 4 pistes en herbes qui se croisent, un environnement particulier avec la CTR de Roissy toute proche. Depuis des semaines, la météo n’est pas cool avec moi. Succession de fronts froids quand ce n’est pas averses et tempêtes à répétition. Mais, ce mercredi 10 février, pour le coup, il y a une fenêtre. Lorsque je pousse la porte du club (ou de l’école), je me trouve d’emblée dans une ambiance de copains… Des élèves, des instructeurs et des… pilotes qui racontent le vol du matin, ou d’hier. Tout le monde rigole en sirotant un café chaud. De quoi lever toutes mes éventuelles appréhensions. D’autant qu’en parlant cinq minutes, on est déjà prêt à m’accueillir dans la confrérie joyeuse des Ulmistes de Seine et Marne. Serge Bouchet est le maître des lieux, chef pilote, directeur pédagogique et patron de l’école. On ne s’attend pas à entendre un tel accent méridional et rocailleux au nord de la Beauce. Il me faut planifier la formation : mes questions fusent. Combien ? Surprise : les tarifs Ulm se rapprochent des tarifs avion. L’heure de vol est à 114 euros. Les explications sont cohérentes, l’essence, la provision pour maintenance, le salaire de l’instructeur (avec les charges), le coût de location des hangars à ADP… Et encore, cela ne tient pas compte de l’amortissement de la machine. La cotisation est de 120 euros et le manuel du brevet de pilote Ulm est de 36 euros. Voyons maintenant le timing. Dans combien de temps serais-je pilote ? Tout dépend de moi… Oui, ok bien sûr mais… La moyenne des lâchés se situe à 18/20 heures de vol (des jeunes pilotes peuvent être lâchés beaucoup plus vite). A ce niveau d’expérience, l’apprenti colibri ultra-léger sera capable d’effectuer des tours de piste seul à bord dans un environnement contrôlé, il sait donc converser à la radio, prendre les infos sur la fréquence ATIS. Très formateur pour la suite. C’est une situation particulière ; la plupart des écoles ULM ne sont pas sur des aérodromes contrôlés. Bonne nouvelle : il n’y a pas de minimum obligatoire pour la pratique, c’est l’instructeur qui me délivre mon brevet, (une attestation certifiant que je suis bien formé) quand il me sentira prêt… Et comme il s’engage, il n’a évidemment pas intérêt à me laisser partir sans avoir la garantie que je ne faucherais pas les marguerites. Là, encore la durée pour être pilote est variable, je compte 25 heures. Quant au rythme d’apprentissage, on me suggère d’éviter de faire durer les choses, le bon rythme est donc de voler environ deux fois par semaine. Au plan théorique, je vais devoir engloutir le contenu du manuel. Par ailleurs, un kit élève a également été concocté par l’équipe pédagogique : on y trouve le règlement intérieur, ainsi qu’une fiche de progression, une check-list de la prévol et une check-list après la prévol, un mini manuel de phraséologie et les cartes de terrain. Là, encore il est préférable de faire en parallèle les cours théoriques et la pratique. Tous les vendredi soir, il y a cours magistral dans l’une des salles du club, le sujet est souvent l’étude de navigation avec connaissance météo, doc obligatoires, études des cartes aéro et réglementation. Le dimanche, en général, on passe aux travaux pratiques, il y a toujours quelques pilotes propriétaires qui partent en navigation. Il y a aussi les formulaires d’usage à remplir quand on s’inscrit quelque part, nom, coordonnées, etc… Autre sujet intéressant : la visite médicale est assurée par un médecin traditionnel avec un certificat des plus simples : je ne dois pas présenter de contre indication à la pratique sportive… En fait, la visite médiale sert aussi à voir si « le type est bien dans sa tête ». Serge tient aussi à me préciser quelques notions de base du l’ULM. « L’Ulm est avant tout une discipline ou la responsabilité individuelle est un principe de base en matière de sécurité. Cela nous permet d’avoir des statistiques d’accident meilleures que celle de l’avion qui pourtant fait l’objet d’une réglementation beaucoup plus stricte. D’ailleurs, la plupart des machines du parc français sont des Ulm de propriétaire qui ont intérêt donc à être vigilant sur la sécurité. Il me justifie aussi au passage l’affiliation du club à la FFPLUM, la fédération : « C’est un geste politique, nous soutenons la fédé car nous estimons qu’elle défend bien notre espace aérien et surtout notre espace de liberté réglementaire » Voilà, maintenant je commence à être bien sensibilisé. Serge décide de me faire visiter le hangar. Nouvelle surprise, il y a là une trentaine de machines, certaines sont décapotées, à moitié démontées attendant que leur propriétaire achève leur maintenance. Il y a quelques Avid Flyer, des Bingo (genre Zodiac Spaghettis), des pendulaires modernes, quelques dinosaures comme les Baroudeurs… Et surtout les bêtes de sommes de l’instruction : les Sky Ranger, un bon vieux tube et toiles que le globe trotter Thierry Barbier avait utilisé pour voler en Afrique. La présence de quelques Pioneer, d’un CT et d’un Storch me fait un peu oublier le côté musée du hangar… Plus loin dans une caisse, la coque d’un Pioneer 300 qui vient d’arriver en kit. Il sera construit par deux membres du club, le mécano, un copain, leur donnera très certainement un coup de main. C’est le Sky ranger blanc Juliet-Echo qui va servir pour mon premier vol. Cette fois, c’est Christian Alitch, Instructeur ULM Pendulaire et Multi-axes, Pilote avion et Montgolfière qui sera mon prof. La voix posée, il commence son briefing. « L’Ulm est très maniable, plus vif qu’un avion, je ne parle pas bien sûr des machines de voltige. Le travail au pied est beaucoup plus efficace. Cette hypersensibilité produit des pilotes ULM qui sont logiquement de bons manœuvriers. Dans cette première leçon, nous verrons la tenue du palier, la prise d’assiette, le maintien de l’horizon stabilisé, il faudra que tu maintiennes ton horizon constant, sans regarder tes instruments. On va aussi essayer de voler la bille au centre pour prendre de bonnes habitudes en matière de symétrie du vol. Cet aspect est très important, les rapports d’accidents parlent souvent des problèmes dus à ce facteur, notamment les décrochages basse altitude ». J’écoute et je prends des notes… Après ce premier contact, retour vers le hangar pour sortir Juliet Echo. Tout de suite, ma vigilance est sollicitée : le Sky ranger est en toile, le moindre accrochage a des conséquences plus sérieuses qu’avec un avion métallique. Il faut garder l’œil. Dehors, on place l’ULM face au vent avant d’entamer la prévol. Christian va bien insister sur cette étape capitale, il me faut prendre les bonnes habitudes. Je fais le tour avec lui. D’abord contrairement à l’avion, on commence par l’intérieur. La visibilité des différents câbles facilite cette vérification : pas d’outils qui traînent pouvant contrarier l’action des commandes, les ceintures au bon endroit, les sièges bien fixés, les casques en place, les câbles en bon état… Je dois aussi vérifier deux points essentiels : les contacts coupés et la clé accrochée à la commande de parachute et donc pas sur le contacteur. Devant le nombre d’éléments de la cabine, je ne vois pas encore très bien ou ça peut coincer. Les prochaines prévols affineront, je pense, mon sens de l’inspection. Ah oui, penser aussi à regarder le niveau d’essence dans les réservoirs, juste derrière les sièges. Ensuite, on passe à l’extérieur. Pas de décapotage à priori, la machine a déjà volé ce matin. D’ordinaire, on défait tout et on inspecte chaque zone du GMP. Pour le moment, je « checke » l’huile. Il faut entendre un léger brassage de l’hélice mais attention, on re-regarde (certainement pour la pédagogie) que la clé n’est Pas sur le contacteur, sinon le brassage pourrait être problématique… On jette aussi un œil pour voir si les oiseaux ou les souris ne sont pas venus se nicher près des cylindres. Passons à la cellule. On commence par la porte passager, classique. Il faut que je passe en revue toutes les fixations, tous les tubes boulonnés. Il y a des « trappes » de visites dans la toile avec des fermetures éclair et des trous en face des écrous pour que l’œil inspecte. Je dois regard les fixations des ailerons, des volets, des câbles de commandes d’ailerons, au-dessus et au-dessous de l’aile. Je regarde aussi naturellement s’il n’y a pas de trou dans la toile… Bref, une foultitude de détails. Mais je sais que pour mon apprentissage, l’impasse pédagogique n’est pas possible. D’ailleurs, Christian me laisse faire le côté droit de la machine. J’essaie de me souvenir de tout avec logique. Par exemple, quand je regarde dessous cherchant un éventuel défaut de la toile, je dois également regarder en même temps la fixation du train, des roues, du maître cylindre de freins, du disque… Quant je déplie, je peux passer à l’aile… Bon, ça va, j’ai tout retenu. Arrivé au train avant, je passe sous l’hélice avant de me faire reprendre.« On évite sous l’hélice, on ne sait jamais ». Je m’attarde ensuite sur la batteuse. C’est une Duc tripale en composite. Je touche sa surface, je mesure le jeu normal du réducteur. Et puis, je cogne dessus avec le doigt, une crique interne donnerait un son différent. Place à bord, les fesses premier. Première sensation, on est très bien assis. Tout est a portée de main, facile. Il manque peut-être un accoudoir sur la gauche. Utile, vous verrez plus loin. Christian m’explique les instruments. Rien que du classique. Alti, tour moteur, vario, températures, pressions, une radio, normal car obligatoire en zone contrôlée (nous avons en plus un transpondeur utile pour certaine navigation). Et puis habituer les élèves à l’usage du transpondeur, c’est une bonne chose pour la sécurité. Curiosité, le trim. Une petite manette avec une balle de golf jaune. Une position avant et arrière, rudimentaire. Entre temps, le ciel s’est couvert, j’ai froid aux mains, j’ai un peu peur d’être moins efficace. Il ya deux push talk, un sur le manche central, l’autre sur la manette des gaz, côté instructeur. La radio est calée sur la tour et sur l’Atis. Je pense à un moment que Christian va prendre la main. Il me refile son moyen mnémotechnique : Cain pour voler en toute sécurité. Commande, attache (pax), instrument, niveau, puissance, parachute, vent, volet, sécurité. Je démarre la machine tout réduit. Pour éviter les erreurs, un petit coupe-circuit m’oblige à être tout réduit pour démarrer. Le débattement des commandes est ok, nous avons 18 litres de quoi voler une heure et demi. Démarrage, personne autour de la machine. Le Rotax prend ses tours sans rechigner. Je trouve même que la commande de gaz est particulièrement sensible… Test magnéto, perte de 100 tours maxi sur les 2. Je prends alors l’information delta sur la fréquence Atis et je parle à la radio… Meaux de Juliet Echo bonjour… Fox Juliet India Juliet Echo, Sky Ranger au Véliplane avec Delta, deux personnes, demande roulage pour un local nord… Ma voix ne tremble pas, je souris. J’ai si souvent entendu Jacques Callies ou Emmanuel Davidson faire ça… Y juste un problème, je ne collationne pas ce que me dit la tour, Christian est là pour me le rappeler. D’ailleurs, il ne bouge pas : je roule le sky en soulageant un peu la roulette de train. Côté palonniers, ça cafouille un peu. Ce satané Ulm ne va pas où je veux. Du calme ! Je comprends qu’en dosant la pression aux pieds, j’évite d’aller brouter hors du taxiway. Et puis, il faut aussi que je sois doux avec les gaz ; trop sensible cette commande… Je ne le sais pas encore mais c’est parti pour une heure de jubilation. Aligné en 34, je pousse les gaz, Christian prend enfin la main au moment du décollage… Pour me la redonner à peine en l’air. Gaz à fond, le nez accroché, on file vers les 1500 ft. J’essaie, comme on me l’a dit de conserver ma bille au centre… Pas simple. En palier, je réduis à 4000 trs, je me remets à l’exercice de la bille. Trop de pieds à droit jean mimi, trop de pied à gauche… Le Sky est un peu secoué, je le sens un peu en crabe. Et puis à force d’être un peu trop concentré sur ma bille, je perds mon alti, 1000 pieds au lieu de 1500. Eh, piloter c’est coordonner plusieurs actions, surveiller les instruments et son environnement. Un coup de plein régime me remet à niveau et je comprends alors que je monte quand je mets les gaz, c’est intégré. Mon premier virage n’est pas un modèle du genre, trop de manche et surtout du pied de l’autre côté… On recommence. Cette fois, Christian me donne un truc : « le pied botte la bille », je parviens à coordonne le manche et les palonniers mais pas l’alti, on part doucement en virage engagé. En plus, j’ai une petite tendance à me tenir à la commande des gaz et je n’ai pas vérifié mon environnement. Je recommence, cette fois en gardant un œil sur mon horizon. Une fois, deux fois et… enfin je m’étonne de tout gérer. Le virage est presque parfait, la bille au centre, le vario nul et je contrôle aussi le couple du moteur, virage à droite, je pousse un peu la manche, virage à gauche je te tire. Il fait beau et je savoure : je suis confortablement calé dans mon siège, je maîtrise ces manœuvres élémentaires, je m’amuse maintenant en volant… Je regarde dehors, j’évite les villages, j’oublie mes instruments. Cette sensation est comme une grande inspiration de plaisir, je resterais encore longtemps suspendu à ces frêles ailes de toiles mais nous volons depuis maintenant plus d’une heure. A 1500 ft, la notion du temps vous échappe. Retour au terrain. C’est encore moi qui fait la radio : Meaux Juliet Echo rebonjour, juliet echo rebonjour me répond aimablement la dame. Fox Juliet India Juliet Echo, Sky Ranger de retour d’un local Nord 1500 NH pour intégration 5 minutes… Dans le circuit, il y trois autres machines, des avions. Cette fois Christian reprend la main jusqu’à l’atterrissage Au sol, je roule de nouveau la machine, beaucoup plus facilement cette fois. Au parking, je questionne Christian : « Alors, ça te paraît comment ? » Il sourit : « Pas mal pour un début ». A l’intérieur du bâtiment, dernière formalité : remplir le carnet de vol. Même s’il n’est pas obligatoire, c’est un principe du club, cela donne une bonne idée de l’utilisation des machines. Dans la salle principale, il y a encore quelques pilotes qui bavardent ; Max, captain sur Airbus A340 qui revient d’une virée à Amiens avec son Storch, Hervé qui finit de trier les photos de sa dernière balade en Afrique en CT… Tout cela attise son envie. Je serre quelques mains mais je suis encore sur mon nuage, là-haut. jmb Merci JMB, je retrouve ton texte et le mets ici, mais je ne me rappèle plus très bien qui tu es, si tu te relis, dis moi, en tous les cas, merci beaucoup, bons vols et au plaisir, Serge. |