de Guillaume, fin avril 2006, sur Coyote 912
« LE JOUR OU L’ON DEVIENT PILOTE… »
Cela menaçait depuis quelques temps… Mon assurance grandissait, les tours de pistes défilaient… Serge m’en parlait presque à chaque fois ! Et moi aussi… Ce foutu lâcher ! On a envie d’y être autant qu’on le craint ; ce jour où tout va changer, ce vol qui fera de vous – bipède terrestre – un homme doué du « sens de l’air », ce vol où vous allez devenir pilote, sans doute l’une des plus belles choses que l’on puisse souhaiter apprendre dans sa vie !
Me voici donc au Véliplane en ce matin du jeudi 20 avril 2006, ma leçon est prévue pour 11h… J’arrive en ayant l’impression de réveiller un peu tout le monde ! Geneviève est là, Cédric émerge… Le « Grand Patron » (comme j’aime à l’appeler) surgit, en panne de rasoir apparemment et me dit : « Salut mon Guillaume, alors un café et on y va ? Dis.., ça sent le lâcher aujourd’hui !… » Le salaud ! Il y pense déjà… Ce serait donc pour ce matin ?? Nous verrons bien… Je vais rejoindre ce cher Coyote 912 qui m’attend dehors, et commence tranquillement ma prévol. Je regarde autour de moi : l’air est calme, pas un poil de vent, ciel dégagé de moitié, plafond très haut, bonne visibilité. Une belle journée qui s’annonce ! Je vérifie tout, Serge arrive et nous partons aussitôt vers le point d’arrêt 16R.
Nous décollons et d’un coup, en pleine montée initiale, il coupe tout sans rien dire ! Je comprends alors que l’exercice d’aujourd’hui est : pannes au décollage et en tours de pistes ! Nous n’avions pas pris le temps d’en parler avant de partir… Tout va très vite, nous enchaînons 3 touchers, des encadrements, un posé suivi d’un re-décollage car la 16R a été raccourcie et c’est un peu juste pour tout faire d’un coup… A la radio, on ne s’entend plus, nous sommes 5 en tours de pistes alors qu’il n’y avait personne 10 minutes avant ! La Tour nous engueule car elle s’étonne de nous voir plonger en bout de piste après chaque décollage… Serge n’avait en fait pas prévenu que nous faisions des exercices ! Toujours est-il que je me retrouve « vraiment » dans le bain ! Moi qui n’avais pas volé depuis un mois, je me sens un peu submergé et affolé… En plus, il en remet une couche : « bon, quand ça sera à toi tout à l’heure, tu feras bien gaffe à la radio et à la jauge de température d’eau etc. » Il compte vraiment me lâcher aujourd’hui !
Après 30 minutes intenses d’un pilotage moyen, nous posons et Serge file dans son bureau… Il me signe l’autorisation de vol seul à bord et puis me lance « prends ça avec toi et vas voler ! Et rappelle-toi, ça montera fort sans moi dedans !!… » Ca y est ! C’est le grand jour. Je mettrai une croix rouge sur le calendrier… Une poignée de main très ferme, un sourire complice et un dernier regard achèvent le tout. Avec ce papier, je dois savoir voler !! Maintenant, c’est à moi, il faut y aller ! J’hésite une seconde, puis je regarde dehors : un léger vent de SW fait trembler les feuilles mais l’air semble d’un calme absolu. Des conditions dont tout le monde rêverait pour un premier solo.. Je dois me jeter à l’eau aujourd’hui, sinon je n’irai jamais. Serge prépare sa prochaine leçon en pendulaire, il fait comme si je n’étais plus là ! Il a bien raison, et je me dis « il a confiance »… Je lui lance « on se retrouvera là-haut ! » histoire de faire tomber un peu le stress… Je retourne au Coyote, garé à la va-vite ; quelques-uns me regardent, un peu ahuris… « C’est le grand jour ? Tu te sens prêt ? Ca va aller ? » Bon Dieu ! Laissez-moi, arrêtez de me regarder… Je ne vais pas à la guerre quand même !
Je monte, et m’emmêle pendant 5 minutes dans les fils radio, les sangles et le déclencheur du parachute, ce n’est pas moi qui le porte d’habitude ! Je le teste en espérant ne pas avoir à utiliser ce maudit boîtier qualifié de « dernier recours ». Le stress est à son comble, je ne fais jamais de nœuds avec le casque d’habitude ! Je ferme les portes, ceintures bien serrées, tout semble OK.
Me voici tout seul dans le petit habitacle vitré. Seul avec deux manches à balai rien que pour moi ! On ressent alors à ce moment là un poids considérable de responsabilités qui vous écrasent les épaules ; on repense à tout ce que l’on a appris… Les 11 petites heures de vol derrière vous paraissent si maigres et insignifiantes.. On revoit les débuts sur le Baroudeur, il y a un an, puis l’Avid de Renaud, le Sky rouge et bleu et enfin ce bon vieux Coyote depuis les 5 dernières leçons… Chaque machine, chaque situation nous a donné brique par brique cette minuscule expérience qu’il va falloir utiliser à fond. Pendant 30 minutes, je dois être « parfait », et si quelque chose déraille, il faudra gérer… Un premier vol solo, c’est le plus beau de tous les examens, car il y a une obligation de réussite.
Je démarre le moteur encore chaud, et c’est parti. Histoire de rajouter un peu depiment à ce premiervol, lajaugedetempératured’eau a décidé de nous lâcher ce matin ! L’aiguille ne décolle pas ou bien s’affole d’un seul coup, sûrement un faux contact… Il faut donc bien regarder les tempé. culasse et huile, si ça passe au-dessus de 110°C, c’est qu’il y a un problème… Je mets un poil de gaz, palonnier à gauche et me voici parti vers la piste. Dans l’affolement du moment j’ai un doute sur l’emplacement du taxiway : il y a des plots de travaux qui compliquent un peu les choses. Un petit coup de radio pour vérifier, tant pis si j’ai l’air con ! J’en profite pour annoncer « c’est pour un premier lâcher », ça peut servir ! Je roule derrière un Cessna, pas moyen de se planter ! Il fait son point fixe puis décolle. Je m’avance et me mets à sa place, check-list habituelle (le fameux « C.A.I.N… ») et c’est parti ! « Meaux de DW, prêt point d’arrêt 16 Droite ». « Alignez-vous et décollez 16 Droite, DW. »
Je vais chercher l’axe de piste puis : plein gaz ! Le Coyote bondit sous les 100 chevaux du 912… Manche au ventre, roue avant levée, on rend la main puis l’oiseau prend son envol, pendu à sa petite hélice bipale… Le palier piste, et en avant la grimpette ! Et à partir de ce moment ; magie : tout le stress accumulé retombe. Les habitudes reviennent vite, les gestes presque automatiques. On se laisse aller au plaisir : quel bonheur de voler seul !! On retrouve toute sa confiance en quelques secondes ! Je monte nettement plus vite qu’avec Serge à bord (qui a dit qu’il pesait son poids ?!…) et me retrouve en un rien de temps à 900 pieds au lieu de 700… Merde ! Ca commence… No panic ! Tranquillement, je réduis et laisse plonger la machine. Je prends mes repères de tour de piste : à gauche de la ville pour ne pas gêner, puis tout droit en évitant la ferme, ensuite virage à gauche après la ligne EDF, puis les étangs et enfin la piste au loin… Je m’applique et contrôle soigneusement mes paramètres : 80 au badin, 700 pieds et vario nul… Bille centrée en virage, instruments moteur : OK… J’ai l’impression d’entendre les conseils de Serge dans mes oreilles. La tour m’oublie un peu à la radio pendant mon « vent arrière » et je parle en l’air… Décidément, ils jouent avec moi ! Puis, on me donne la 16R. Flûte ! Elle a 1/3 de moins que d’habitude, pour un toucher c’est pas génial… Je demande la 16L en expliquant la raison. « Pas de problème ! » me répond la tour. J’arrive en final, je suis n°1… Moteur plein ralenti en passant au-dessus du petit chemin dans le champ repéré auparavant, et j’arrive « pile poil » au début de ma piste, un petit 65 au badin. J’arrondis (pas assez) et touche (un peu vite) ! Tant pis, ce sera mieux au prochain ! Plein gaz et me voici à nouveau en l’air… Je prie à chaque montée les Dieux du Rotax d’être clément avec moi… Pas de panne aujourd’hui s’il vous plaît ! Ce serait un peu trop d’un coup… Et c’est ainsi que j’enchaîne 5 tours de piste, tantôt n°2 ou n°3 dans un trafic qui ne me gêne pas le moins du monde… Je suis chaque fois un plus précis, plus confiant.. Les touchers sont plus doux à chaque passage… Je prends le temps de savourer le paysage de cette journée bénie… Je regarde ce siège vide à ma droite et ressens cette joie immense du travail accompli et bien fait.
Depuis que j’ai 5 ans, je rêve de voler et d’être pilote ! A 22 ans, me voici comblé ! Quel plaisir que de voler… les terriens ne peuvent pas comprendre ce que nous ressentons ! Il faut se retrouver là-haut, seul avec l’air et la machine pour savoir ce qu’est le plaisir absolu… Mais a-t-on seulement le droit d’être si heureux ?
Pour ne pas trop tenter le sort, je fais un « complet » après 36 minutes de vol. Je rentre au hangar après avoir traverser la 16R. J’aime dans ce cas à peaufiner la chose par un petit message radio bien propre. Je remercie la tour, cette voix amie qui vous aide et vous rassure en l’air… « Bravo DW, c’était très bien ! Bonne journée ».Et je me mets enfin en tête d’assurer le rangement impeccable de l’appareil ! On devient maniaque dans ces cas-là et on veut se placer parfaitement perpendiculaire au hangar, sur cette touffe d’herbe bien verte, et pas une autre !
Je descends : heureux, transporté, en état second… Jean-Jacques me sourit : « ça va mieux hein ? Ca y est c’est fait ?! » Et c’est exactement ce que l’on a dans la tête.. On est fier, content, soulagé, aux anges, et fatigué aussi !
Serge me félicite, et je vais alors m’asseoir silencieusement 10 minutes dehors, savourant chaque seconde passée en l’air, et regardant partir mon Coyote avec un autre élève… Oui ! MON Coyote… car il fut le mien pendant ces 36 minutes, et ce fut merveilleux !
Mon esprit plane à 35.000 pieds depuis ce jour, bien au-dessus du tour de piste à 700 QFE !… Quelque chose a changé, difficile d’exprimer ce que c’est. Je suis devenu « homme volant ». En tout cas, me voici dans l’obligation de fêter ça et c’est avec nos amis pilotes belges lors du repas du 29 avril (avant le Tour de Paris avorté) que j’ai payé ma bouteille de champagne !
Merci de m’avoir appris à voler, je n’ai jamais été si près d’un rêve.
note de Serge : Guillaume est un bon élève de 22 ans, très très agréable ces jeunes ! qu’est ce qu’un bon élève ? c’est un élève qui sait faire la différence entre ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas encore et qui fera ce qu’il faut pour le savoir